Se vendre toujours plus cher qu’ils ne valent est un défaut congénital des cadres et hommes politiques du pays.
Acheter systématiquement à un prix supérieur à la valeur réelle est le péché commun de nos dirigeants successifs. Un monarque, à qui l’on avait conseillé de « s’acheter » un personnage pour qu’il ne puisse lui nuire, fit, froidement, à peu près cette remarque : « Ce n’est pas de l’acheter qui est le problème, mais de l’acheter au prix qu’il s’estime. »Sous nos cieux, celui qui se « vend » cher est-il à blâmer, ou c’est celui qui « achète » à un prix déraisonnable qui est à plaindre ?
De loin, il est difficile de distinguer clairement, au sein des partis, les collaborateurs proches des leaders, dédiés à des tâches spécifiques, des responsables de premier ordre qui disposent d’une véritable envergure politique et d’une assise électorale. De l’ombre à la lumière, il y a une frontière souvent franchie allègrement par un simple acte de nomination. Ce dernier apparaît alors comme un révélateur plus significatif pour beaucoup de cadres affiliés aux leaders qu’une percée remarquée ou une présence imposante sur le terrain.
Dans l’entourage des chefs de partis, règne une certaine ambiguïté, des amalgames qui brouillent le jugement, au point de confondre l’essentiel et l’accessoire. Dans cette surenchère volontairement entretenue, on est parfois tenté de croire que tout le monde, a priori, est important et mérite d’être pris au sérieux. L’erreur vient sans doute de cette proximité, supposée ou avérée, avec le Numéro un, qui influence fortement la perception générale. Pourtant, tous ne sont pas logés à la même enseigne et ne peuvent revendiquer une légitimité égale.
Il y a d’un côté ceux qui travaillent directement avec le premier dirigeant dans son cabinet, occupant divers postes comme des fonctionnaires, ils sont le plus souvent rémunérés. De l’autre, il y a les acteurs qui incarnent véritablement le parti, en faisant sa renommée, ce sont des partenaires précieux.
Très peu pourraient s’enorgueillir d’avoir contribué au succès électoral de leurs familles politiques et d’être incontournables sur l’échiquier national, grâce à leur popularité et leur poids dans les urnes.Même si certains, parmi les premiers, réussissent à décrocher des mandats électifs, c’est généralement moins en raison de leurs propres mérites électoraux que parce que leur parti exerce une domination incontestée dans la circonscription qu’ils représentent.
Les partis possèdent des fiefs et des bastions imprenables où tout candidat présenté est assuré d’une victoire certaine. Rares sont ceux qui font réellement gagner leurs partis ; plus nombreux sont ceux qui profitent simplement d’un électorat acquis d’office.
C’est pourquoi les opérations de débauchage profitent surtout aux transfuges. Les pouvoirs qui y recourent s’en rendent vite compte, car ils cooptent des individus sans réussir à rallier une partie ou la totalité des électeurs des formations politiques dont ils sont issus. La magie n’opère pas.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer le faible impact des ralliements sur les résultats des scrutins ou l’ampleur des mobilisations quand les “renforts” s’y essayent dans leurs nouveaux habits : les défections dans le camp adverse ne rapportent ni électoralement ni politiquement au pouvoir. Les partis « siphonnés » ne s’effondrent pas comme par enchantement, même lorsque les dissidents paraissent déterminés à les rayer de la carte politique. L’électorat, lui, ne bascule pas mais tend plutôt à resserrer les rangs et défendre son capital commun. Finalement, la montagne accouche d’une souris.
Par ailleurs, l’opinion publique, en général, désapprouve et ne soutient pas les « déménagements » qui suscitent une désaffection pour la politique et jettent le discrédit sur les élites. On déplore que certains, en allant se blottir dans les bras des décideurs du moment, atteignent les plus hautes sphères de l’État ou soient propulsés à de hautes fonctions simplement pour avoir claqué la porte au nez d’un parti d’opposition ou considéré comme un adversaire au pouvoir en place.
Du côté de ceux qu’on quitte, règne la colère et la déception, le sentiment de trahison. Du côté de ceux qu’on rejoint, suspicion et hostilité, car on leur ravit des places déjà occupées ou convoitées, et l’on doute de la sincérité d’une reconversion brutale, rarement désintéressée. La question se pose à chaque fois : faut-il d’abord servir les amis, soutiens et partenaires inconditionnels, ou faire la part belle aux transhumants et militants de la 25e heure ?
Il revient alors au chef de l’État, seul détenteur du pouvoir discrétionnaire de nomination, de trancher entre ces courants d’intérêts antagonistes, de démêler les appétits aiguisés de certains des prétentions pharaoniques d’autres. C’est le moment où il ressent tout le poids de la solitude du pouvoir et réalise la complexité d’unir des hommes porteurs de leurs propres ambitions et desseins. Il est constant que les hommes n’ont de convictions que celles dictées par leurs intérêts.
Plus tôt on le sait, mieux on se porte.