Moins de deux semaines aprรจs sa nomination, le ministre chinois des Affaires รฉtrangรจres, Qin Gang, sโest rendu en Afrique pour son premier dรฉplacement officiel. Aprรจs lโรthiopie, il doit se rendre au Gabon, en Angola, au Bรฉnin et en รgypte. Au regard de cette nouvelle visite sur le continent, comment les relations Chine-Afrique ont-elles รฉvoluรฉ au cours des derniรจres dรฉcennies ? En quoi le discours chinois dโaide au dรฉveloppement et de non-ingรฉrence fait-il particuliรจrement รฉcho auprรจs des pays africains ? Dans quelle mesure le continent africain devient-il un enjeu global de plus en plus important ? Le point avec Francis Laloupo, journaliste et chercheur associรฉ ร lโIRIS.
Chaque annรฉe, les ministres chinois des Affaires รฉtrangรจres dรฉbutent toujours leurs visites diplomatiques par lโAfrique. Comment les relations Chine-Afrique ont-elles รฉvoluรฉ au cours des derniรจres dรฉcennies ? Dans quelle mesure le continent africain devient-il un enjeu global de plus en plus important ?
Cette tournรฉe annuelle des ministres chinois est devenue une tradition et, ร chaque fois, il sโagit de souligner la spรฉcificitรฉ des liens unissant les pays africains et la Chine depuis quatre ou cinq dรฉcennies. Au-delร des liens commerciaux, ces tournรฉes ministรฉrielles, tout comme les sommets Chine-Afrique, sont autant dโoccasions pour la Chine dโinsister sur le socle singulier de cette coopรฉration, ร savoir son soutien aux pays africains contre les ingรฉrences extรฉrieures, et pour des politiques de dรฉveloppement garantissant le respect des souverainetรฉs nationales. En somme, un rappel des principes du Protocole de Pรฉkinโฆ Mรชme si ces relations sont anciennes, elles ont รฉtรฉ fortement reconfigurรฉes au dรฉbut des annรฉes 2000. Le schรฉma relationnel actuel rรฉsulte dโune coรฏncidence historique entre le processus de diversification des partenariats extรฉrieurs engagรฉ par lโAfrique au cours des annรฉes 90 et lโoffensive programmatique dโune Chine ร la conquรชte du marchรฉ mondial, mais aussi en quรชte de matiรจres premiรจres et de ressources รฉnergรฉtiques dont lโAfrique est le rรฉservoir.
Devenue le premier investisseur sur le continent, la Chine en est aussi un partenaire privilรฉgiรฉ pour satisfaire les besoins en infrastructures et la mise en ลuvre de grands projets multisectoriels. Djibouti compte parmi les carrefours des nouvelles Routes de la soie, lโun des projets marqueurs du mandat du prรฉsident Xi Jinping. Au cours de la derniรจre dรฉcennie, les relations ont dรฉbordรฉ le cadre รฉconomique pour sโรฉtendre aux questions sรฉcuritaires. Ainsi, en 2018, la Chine est devenue lโun des principaux fournisseurs de matรฉriel militaire pour les armรฉes africaines, juste derriรจre la Russie. Un tiers de lโarmement importรฉ en Afrique provient de Chine et quelque 22 pays africains constituent la plus grande clientรจle du matรฉriel militaire chinois.
En quoi le discours chinois dโaide au dรฉveloppement et de non-ingรฉrence fait-il particuliรจrement รฉcho auprรจs des pays africains ?
Cโest un discours dโautant plus sรฉduisant quโil ravive le souvenir des luttes pour les indรฉpendances et de lโalliance idรฉologique des non-alignรฉs contre les impรฉrialismes. Toutefois les temps ont changรฉ, et le rรฉfรฉrentiel idรฉologique a รฉtรฉ supplantรฉ par lโurgence รฉconomique et le postulat incantatoire des partenariats dits ยซ gagnant-gagnant ยป. Pour nombre dโAfricains, les relations avec la Chine agissent comme une alternative politique aux coopรฉrations avec les partenaires occidentaux. Certains estiment que lโaction de la Chine sur le continent permet aux pays du continent de tirer le meilleur parti des rivalitรฉs entre lโEmpire du Milieu et les autres opรฉrateurs รฉtrangers. Sโagissant de lโaide au dรฉveloppement, il est vrai que la Chine se montre particuliรจrement rรฉactive et opรฉrante dans divers secteurs de la vie รฉconomique, et ce, ร des conditions aussi attractives que favorables, comparativement ร dโautres grands partenaires รฉconomiques.
Toutefois, si cette coopรฉration est souvent saluรฉe par les acteurs pour son dynamisme, elle a commencรฉ ร produire des contentieux silencieux, notamment la question des accaparements des terres ou celle liรฉe ร la dรฉlocalisation en Afrique de productions industrielles chinoises. En outre, il faut apprรฉcier sur le long terme les incidences de cette coopรฉration sur les grands รฉquilibres des รฉconomies africaines. Tous les indicateurs dรฉmontrent dรฉjร que la Chine est en passe de devenir le plus grand crรฉancier du continent. Autant dire que la mรฉthode chinoise de lโaide au dรฉveloppement pourrait se rรฉvรฉler ร terme pour lโAfrique comme une nouvelle fabrique de la dette insurmontable.
La Russie et la Turquie sont de plus en plus prรฉsentes sur le continent et Washington a organisรฉ le mois dernier le second sommet รtats-Unis โ Afrique. Dans quelle mesure le continent africain devient-il un enjeu global de plus en plus important ?
Dโabord parce que le continent demeure un grand pourvoyeur de ressources naturelles et autres matiรจres prรฉcieuses. Ajoutez ร cela quโavec une population dโun milliard et demi dโhabitants, il est toujours considรฉrรฉ comme un rรฉservoir consรฉquent de consommateurs. De plus, eu รฉgard aux besoins immenses en termes dโinfrastructures et dโinvestissements multisectoriels, le continent constitue pour les puissances รฉmergentes un espace dโopportunitรฉs particuliรจrement fรฉcond. Par ailleurs, lโAfrique est de plus en plus impliquรฉe dans les questions liรฉes ร la sรฉcuritรฉ internationale. Les dรฉfis sรฉcuritaires auxquels font face plusieurs pays africains, indissociables des menaces et crises globales, en ont fait, au fil des vingt derniรจres annรฉes, un alliรฉ gรฉostratรฉgique important. Reste ร savoir comment parvenir ร un juste รฉquilibre entre les politiques sรฉcuritaires endogรจnes et la disparitรฉ des coopรฉrations sรฉcuritaires entre les rรฉgions africaines et leurs diffรฉrents partenaires europรฉens, amรฉricains, russes, chinois ou turcs. Djibouti symbolise cette agrรฉgation dโintรฉrรชts gรฉostratรฉgiques, avec la prรฉsence de bases militaires de la France, des รtats-Unis, du Japon, dโAllemagne, dโEspagne, et de la Chine qui sโy est invitรฉe depuis 2017. Comme si ces bases militaires cumulรฉes dans le golfe dโAden avaient pour vocation dโรชtre un observatoire de lโAfrique et du monde.
Enfin, les pays africains, du fait de la diversitรฉ de leurs systรจmes dโalliances internationales, sont devenus des partenaires objectifs au regard des mรฉcanismes et de lโรฉvolution des stratรฉgies dโinfluence sur lโรฉchiquier international. En cela, les pays dโAfrique sont toujours considรฉrรฉs par les grandes puissances et les รฉmergentes comme des alliรฉs indispensables ร leurs stratรฉgies dโinfluence dans le cadre des Nations unies. Toutefois, lโAfrique, de plus en plus attachรฉe aux mรฉcanismes du multilatรฉralisme, ne veut plus รชtre cantonnรฉe dans un rรดle de variable dโajustement des rivalitรฉs entre les grandes puissances. Elle veut choisir ses partenaires et ne plus les subir. Pour cela, plusieurs pays devront dรฉvelopper leurs capacitรฉs de nรฉgociation et de dรฉcision dans le champ des relations internationales.
Guineesouverain avec iris