Mรชme si nous ne leur donnons rien, comme cโest souvent le cas, rendons tout au moins aux valeureux avocats un hommage mรฉritรฉ. En Guinรฉe, les avocats ne dรฉfendent pas que des dossiers. Ils dรฉfendent lโidรฉe mรชme de justice.
Dans les sociรฉtรฉs dรฉmocratiques, la justice repose sur trois piliers : une magistrature indรฉpendante, un ministรจre public impartial, et une dรฉfense libre. En Guinรฉe, ce dernier pilier tient souvent seul lโรฉdifice debout, dans des contextes oรน la sรฉparation des pouvoirs nโest plus quโun vลu pieux.
Trop souvent rรฉduits ร leur rรดle technique ou perรงus ร travers le prisme des affaires mรฉdiatisรฉes, les avocats sont pourtant les derniers recours des faibles, des marginalisรฉs, des persรฉcutรฉs, des citoyens sans voix. Ils ne se contentent pas dโappliquer le droit ; ils le dรฉfendent, parfois contre les institutions elles-mรชmes. Leur engagement ne se limite pas ร des consultations juridiques ou ร des audiences. Il est un acte militant, un combat quotidien pour prรฉserver lโessence mรชme de lโรtat de droit.
Un engagement silencieux, mais essentiel !
Chaque jour, des avocats guinรฉens dรฉfendent des dรฉtenus politiques, des militants, des syndicalistes, des jeunes manifestants, parfois arrรชtรฉs arbitrairement, souvent privรฉs de garanties procรฉdurales รฉlรฉmentaires. Ces robes noires affrontent les lenteurs de la justice, les intimidations, les convocations abusives, les tentatives de dรฉcrรฉdibilisation, voire les menaces personnelles.
Et pourtant, ils tiennent bon. Non pas pour la gloire ou lโargent, car il y a peu de gloire ร dรฉfendre un manifestant oubliรฉ en prison depuis des mois, et moins encore dโargent ร plaider des causes qui dรฉrangent, mais par conviction. Par conscience. Par fidรฉlitรฉ ร une certaine idรฉe du droit et de la dignitรฉ humaine.
Ce sont ces femmes et ces hommes, debout face ร lโarbitraire, qui maintiennent vivante la flamme vacillante de la justice dans notre pays.
Des noms, des combats, des symboles
Parmi ces avocats, certains sont devenus, malgrรฉ eux, des figures emblรฉmatiques de ce combat. Maรฎtre Mohamed TRAORE, ancien bรขtonnier, est de toutes les causes sensibles : dรฉfense de prisonniers politiques, dรฉnonciation des atteintes ร lโรtat de droit, plaidoyers pour la libertรฉ dโexpression. Maรฎtre Salif BEAVOGUI, infatigable, enchaรฎne les audiences, multipliant les interventions dans les prisons du pays, dรฉfendant les laissรฉs-pour-compte. Maรฎtre Faya Gabriel KAMANO, mon oncle et mon avocat personnel ร tout faire. Maรฎtre Thierno Souleymane BALDE, Maรฎtre Pรฉpรฉ Antoine LAMAH, et tant dโautres encore, bravent les pressions, souvent dans lโindiffรฉrence gรฉnรฉrale, pour faire vivre la promesse rรฉpublicaine dโune justice รฉgale pour tous.
Ils nโont pas les honneurs des plateaux tรฉlรฉ. Ils nโont pas les dรฉcorations officielles. Ils nโont pas les moyens des cabinets huppรฉs. Mais ils ont, et cโest peut-รชtre plus important, la confiance de ceux quโils dรฉfendent et, pour certains dโentre nous, notre respect.
Rendons-leur ce que lโรtat leur refuse
Il est regrettable que ces avocats engagรฉs travaillent souvent dans des conditions indignes : absence dโaide juridictionnelle structurรฉe, manque de protection institutionnelle, agressions verbales et physiques, prรฉcaritรฉ professionnelle. Lโรtat guinรฉen ne fait pas assez, voire rien pour reconnaรฎtre ou soutenir leur mission.
Mais ร dรฉfaut de leur offrir les moyens nรฉcessaires ร lโexercice plein de leur profession, nous pouvons, nous devons leur offrir autre chose : notre reconnaissance publique. Un hommage sincรจre, citoyen, qui dรฉpasse les appartenances politiques ou idรฉologiques.
Ce minimum symbolique est essentiel. Car un pays qui maltraite ses avocats est un pays qui sape sa propre dรฉmocratie. Un pays qui nโรฉcoute plus ses dรฉfenseurs, bientรดt nโรฉcoutera plus ses citoyens.
Pour conclure : la justice, ce nโest pas un luxe
Les avocats ne rendent pas seulement des services juridiques. Ils tiennent ร bout de bras lโespoir dโune sociรฉtรฉ plus juste, plus humaine, plus รฉquilibrรฉe. Sans eux, la violence remplace le droit, lโarbitraire remplace la procรฉdure, la peur remplace la libertรฉ.
Alors oui, mรชme si nous ne leur donnons rien, ni moyens, ni dรฉcorations, ni rรฉpit, rendons-leur au moins ce quโils mรฉritent : un hommage juste, digne, appuyรฉ. Cโest le minimum que nous leur devons. Et cโest, surtout, ce que nous nous devons ร nous-mรชmes.
Ils sont les gardiens debout dโune sociรฉtรฉ ร genoux.ร eux, notre respect.ร eux, notre gratitude.Et, peut-รชtre un jour, ร euxโฆ la justice quโils ont tant dรฉfendue pour les autres.
Par Dr Faya Lansana MILLIMOUNO
Prรฉsident du Bloc Libรฉral.