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La Guinée, face  aux  escadrons de la mort (Par Tierno Monénembo)

La Guinée et le culte mortel du chef (Par Tierno Monénembo)

Nous, Guinéens, souffrons d’une addiction, une addiction aux effets aussi dévastateurs que ceux d’une drogue dure.

Notre héroïne à nous, notre crack, notre kush, c’est le besoin pathologique du chef. Il nous faut un chef à n’importe quel prix et, quand nous ne le trouvons pas, nous l’inventons de toute pièce. Cette monstrueuse créature – chez nous, on dit mangué – est à l’origine de tous nos échecs, de tous nos drames.

Nous nous sommes révélés incapables de devenir des citoyens mûrs, conscients de leurs droits et prêts à se sacrifier pour les défendre. Nous sommes restés des sujets soumis au bon vouloir du chef. Chez nous, le chef a le droit d’arrêter qui il veut, de tuer qui il veut, de faire disparaître qui il veut. Il a droit de vie et de mort sur ses concitoyens, droit de propriété sur les richesses minières et sur les finances publiques. Ce n’est pas un chef, à vrai dire, c’est un dieu, tout droit sorti de nos peurs, de notre incroyable propension à la lâcheté collective.

Un étrange réflexe vient corroborer cela. Lorsqu’il y a des tueries dans les manifestations de rue, on ne s’en prend pas au criminel mais aux victimes. « Pourquoi a-t-on conduit nos enfants à la boucherie ? », hurle-t-on ici et là. Le boucher, entendez, l’État sanguinaire, est dans son rôle. Le boucher, c’est l’institution suprême. Tuer relève de ses fonctions régaliennes. Le boucher a toujours raison, le guide suprême, c’est lui. Les coupables, ce sont les manifestants. « Le droit de manifester est écrit dans la Constitution, alors que le droit de tuer, lui, n’est écrit nulle part », disait pourtant un de nos célèbres avocats. Mais bon, nous sommes en Guinée, où il est de bon ton d’applaudir les bourreaux et de cracher sur les victimes.

Chez nous, l’État est un individu, un individu qui ne fait pas que réprimer à tours de bras, mais qui nomme et dégomme aussi qui il veut : les ministres, les préfets, les gouverneurs, les ambassadeurs, les commissaires de police et les généraux. L’État guinéen est une propriété privée, un système monolithique qui ignore le contre-pouvoir, le contrôle et le recours. Notre service public ne fonctionne pas avec des corps spécialisés (ambassadeurs de métier, administrateurs de métier, militaires de métier, policiers de métier, recrutés sur la base du mérite).

Nos diplomates, nos hauts fonctionnaires, nos généraux et nos commissaires de police sont nommés à la discrétion du chef auquel ils doivent tout, et le poste, l’échelon, le gîte et le couvert. Ils n’ont pas besoin de se présenter à un concours ou de se donner un mal de chien pour monter en grade. Il leur suffit d’être l’ami, le griot, le cousin ou le frère de tribu du potentat du jour pour jouir d’une ambassade, d’un strapontin ou d’un poste de directeur de service.

Le meilleur « back-ground » chez nous, la parenté, la meilleure assurance-vie, la flagornerie ! Et voilà ce que ça donne : un pays archaïque qui croule sous la saleté, qui crève de famine et de maladies alors qu’il a la mer, la forêt, qu’il est abondamment irrigué et que son sous-sol regorge des minerais les plus précieux. Qu’est-ce donc sinon la malédiction du chef ?

Le plus grave, chez nous, c’est que n’importe qui peut devenir chef. Jetons un coup d’œil sur la liste de nos dirigeants et nous verrons qu’ils n’ont rien d’exceptionnel, que pour la plupart, ils sont sortis du néant. Qui a entendu parler de Lansana Conté avant le 5 avril 1984 ? Qui a entendu parler de Dadis Camara ou de Sékouba Konaté avant le 24 décembre 2008 ? Qui a entendu parler de Mamadi Doumbouya avant le 5 septembre 2021 ?

Nous sommes passés sous le laminoir de six redoutables mangué depuis 1958. Ils ne sont pas tous du même profil : il y a eu des civils et des militaires ; il y a eu les putschistes, les thuriféraires du parti unique et les adeptes du troisième mandat. Mais ils ont un point commun : ils sont tous féroces, ils sont tous avides du sang des Guinéens. Sékou Touré nous a laissé des dizaines de milliers de cadavres, Lansana Conté, Dadis Camara et Alpha Condé, des centaines, voire des milliers. Mamadi Doumbouya n’en est qu’à ses débuts. Nul ne peut prévoir pour l’instant, le nombre total de ses victimes.

Guinéens, ne pensons-nous pas enfin que trop, c’est trop ? Et si l’on arrêtait de nourrir les serpents qui nous mordent ?

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