Il y a cinquante ans, le 28 mai 1975, naissait à Lagos la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Ce projet ambitieux, porté par quinze pays, devait incarner l’espoir d’une Afrique de l’Ouest unie, prospère et solidaire.
Cinq décennies plus tard, alors que les dirigeants de la région se réunissent à Abuja pour célébrer cet anniversaire, l’heure est au bilan.
Entre réussites, défis persistants et crises récentes, la CEDEAO se trouve à un tournant de son histoire.
Les contextes de la création de la CEDEAO en 1975
La CEDEAO a été fondée dans un contexte marqué par deux dynamiques majeures : la volonté de dépasser les divisions coloniales et la nécessité d’une intégration économique face à la fragilité des jeunes États ouest-africains.
Le Traité de Lagos, signé par quinze pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sierra Leone, Sénégal et Togo), visait à créer un marché commun, favoriser la libre circulation et renforcer la coopération politique.
Dans une interview exclusive avec TRT, le ministre béninois des Affaires étrangères, Oloushegun Adjadi Bakari, résume cette ambition : “En 1975, nous avons décidé de créer cette organisation sur la base d’une promesse : celle d’une intégration régionale équitable, où les plus grands tireraient les plus petits, et où les plus petits contribueraient aussi.”
Pourtant, dès l’origine, des tensions existaient. La Mauritanie, seul État arabophone, quittera l’organisation en 2000. Elle est devenue membre associée en 2017.
Plus récemment, en janvier 2024, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé leur retrait, fragilisant un peu plus l’unité régionale.
Des avancées concrètes au fil des décennies
Malgré les difficultés, la CEDEAO peut se targuer de plusieurs réalisations majeures :
- La libre circulation des personnes : Le Protocole de 1979, entré en vigueur progressivement, a permis une mobilité accrue, renforcée par la carte d’identité biométrique de la CEDEAO, une première en Afrique.
- L’intégration économique : Des avancées notables ont été faites en matière de suppression des barrières douanières, avec des corridors économiques comme celui Abidjan-Lagos (1 028 km), financé à hauteur de 42 millions de dollars
- Aujourd’hui, la CEDEAO représente un marché de plus de 400 millions d’habitants et un PIB combiné dépassant les 700 milliards de dollars, faisant d’elle un acteur économique incontournable.
Si la libre circulation des personnes semble être une réussite, les tensions politiques, les barrières culturelles et les inégalités persistent.
Comme l’a souligné le président ghanéen John Dramani Mahama lors de la célébration du Jubilé d’or de la CEDEAO à Accra le 22 avril 2025 : “Nos citoyens doivent ressentir que la CEDEAO n’est pas une bureaucratie distante, mais une communauté vivante.”
Le rêve encore lointain d’une monnaie commune
Or, les obstacles persistent. Malgré la libre circulation théorique, les contrôles abusifs et la corruption entravent encore la mobilité. Et la question des disparités économiques représente aussi un défi de taille.
Le Nigeria, géant régional, grâce à sa taille et à ses ressources domine l’économie, créant des déséquilibres. Avec 228 millions d’habitants, plus de 50% de la population de la CEDEAO, ce pays offre un vaste marché. Son PIB tiré par le pétrole représente 70% du PIB régional.
Le manque d’infrastructures communes représente également un défi. Les projets transnationaux, trains, routes, énergie, avancent lentement.
L’un des plus grands reproches faits à la CEDEAO reste l’absence de monnaie unique. L’Eco, annoncé pour 2020, puis reporté à 2027, bute sur des divergences économiques entre pays membres. Pourtant, les avantages seraient immenses :


- Fin des coûts de change car actuellement, les transactions passent souvent par le dollar ou l’Euro.
- Renforcement des échanges intra-régionaux.
- Stabilité monétaire face aux fluctuations des devises nationales.
Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger : un coup dur pour la CEDEAO
La décision du Mali, du Burkina Faso et du Niger de quitter la CEDEAO en janvier 2024 marque un tournant critique pour l’organisation ouest-africaine.
Ces trois pays, dirigés par des régimes militaires, ont justifié leur retrait en dénonçant une CEDEAO “sous influence étrangère” et “éloignée des aspirations des peuples”.
Leur départ fragilise non seulement l’intégration régionale, mais aussi la stabilité d’une zone déjà minée par le terrorisme et les coups d’État.
En s’éloignant des mécanismes de coopération de la CEDEAO, ces pays pourraient affaiblir la réponse “collective » face au terrorisme et aux crises sécuritaires.
Cette évolution risque en outre de favoriser l’ingérence de puissances étrangères, menaçant davantage l’équilibre fragile de la zone.
Avec leur sortie, la CEDEAO perd près de 70 millions d’habitants et une partie stratégique de son territoire, riche en ressources naturelles.
L’Alliance des États du Sahel (AES), nouvellement formée par ces trois nations, pourrait concurrencer l’influence de la CEDEAO, remettant en question des décennies de coopération économique et sécuritaire.
Ce retrait soulève aussi des inquiétudes sur l’avenir de l’intégration ouest-africaine.
À 50 ans, la CEDEAO est à la croisée des chemins. Comme le dit le ministre béninois des Affaires étrangères Oloushegoun Adjadi Bakari, “Il faut regarder là où on a trébuché.”